Auteure : Julie Nicolas, doctorante
Alors que la réglementation de l’Union européenne interdit depuis 2004 la mise sur le marché commun de produits cosmétiques finis testés sur les animaux[1] et depuis 2009 la mise sur le marché d’un produit cosmétique contenant des ingrédients testés sur les animaux[2], le Canada est sur le point d’adopter à son tour une législation interdisant la vente de produits cosmétiques testés sur les animaux sur le marché canadien ainsi que les tests cosmétiques sur les animaux.
En effet, le gouvernement du Premier Ministre canadien Justin Trudeau a déposé devant le Parlement canadien, le 28 mars dernier, un avis de motion visant notamment à modifier la Loi fédérale sur les aliments et drogues[3]. Si cette modification de ladite loi est adoptée, elle conduira à l’ajout d’un nouvel article 16.1 (1) au sein de cette loi intitulé « Vente interdite – essai sur des animaux » et en vertu duquel : « Il est interdit de vendre un cosmétique, à moins de pouvoir en établir la sûreté sans avoir recours à des données tirées d’essais conduits sur des animaux qui pourraient causer à ceux-ci de la douleur, de la souffrance ou toute blessure physiques ou mentales. »[4]. Ce nouvel article prévoit ainsi l’interdiction de la vente de produits cosmétiques testés sur les animaux sur le marché canadien.
Il faut toutefois noter que cette interdiction comportera plusieurs exceptions, lesquelles sont exposées au sein d’un nouvel article 16.1 (2)[5]. De sorte que :
De nombreuses exceptions sont donc admises à la future interdiction de vente sur le marché canadien de produits cosmétiques ayant fait l’objet d’essais sur des animaux. De plus, ces exceptions reprennent certaines dérogations controversées à l’interdiction de pratiquer des tests cosmétiques sur les animaux, consacrées par le droit de l’Union européenne[6]. Ainsi, la future interdiction canadienne ne semble malheureusement pas plus ambitieuse que celle actuellement en vigueur au sein de l’Union européenne.
La future législation fédérale projette également l’interdiction des tests réalisés sur les animaux pour les produits cosmétiques. L’avis de motion déposé au Parlement canadien contient en effet un nouvel article 16.2, lequel dispose que : « Il est interdit de conduire des essais sur des animaux qui pourraient causer à ceux-ci de la douleur, de la souffrance ou toute blessure, qu’elles soient physiques ou mentales, en vue de satisfaire, en ce qui a trait à un cosmétique, à une exigence qui est prévue par une disposition de la présente loi ou de ses règlements ou à une exigence concernant la sûreté des cosmétiques qui est prévue par une règle de droit qui s’applique dans un État étranger. »[7].
Toutefois, la future législation canadienne ne précise pas si cette interdiction s’appliquera uniquement aux produits cosmétiques finis ou bien à tous les ingrédients entrant dans la composition d’un produit cosmétique. Par ailleurs, il serait fort utile de préciser ce qui est entendu par « essais […] qui pourraient causer à ceux-ci de la douleur, de la souffrance ou toute blessure, qu’elles soient physiques ou mentales » car cette formulation peut laisser penser que les tests ne répondant pas à ces exigences pourraient continuer à être pratiqués sur les animaux s’agissant des produits cosmétiques.
L’interdiction de la vente de produits cosmétiques testés sur les animaux, à laquelle s’ajoute celle des tests pratiqués sur les animaux en vue de la fabrication de produits cosmétiques, ont par ailleurs été complétées par une troisième interdiction : celle de l’étiquetage mensonger ou trompeur en ce qui concerne l’expérimentation des cosmétiques sur les animaux[8].
Il est toutefois intéressant de préciser qu’il ne s’agit pas de la première tentative de modification de la législation fédérale canadienne en vue de l’interdiction de la vente de produits cosmétiques testés sur les animaux puisqu’un projet de Loi sur les cosmétiques sans cruauté avait déjà été soumis au Parlement du Canada par la sénatrice Carolyn Stewart Olsen en 2015, avant d’être finalement abandonné en 2019.
Si, pour les associations canadiennes de défense des animaux, cette modification législative arrive tardivement puisque jusqu’alors aucun texte juridique canadien n’interdisait la réalisation de tests sur les animaux dans le domaine des cosmétiques, pour les représentants de l’industrie cosmétique il s’agit avant tout d’une interdiction symbolique car les entreprises du secteur présentes au Canada ne pratiqueraient plus de tels tests depuis plusieurs années.
Cette nouvelle législation plus favorable à la protection animale devrait normalement entrer en vigueur 6 mois après la future sanction royale de la loi[9], attendue pour le printemps 2023. Le Canada rejoindra ainsi la quarantaine de pays qui ont interdit les tests de produits cosmétiques ou de leurs ingrédients pratiqués sur les animaux.
[1] Cette interdiction résulte de la directive 2003/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 février 2003 modifiant la directive 76/768/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques.
[2] Cette interdiction a été consacrée par le règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. Néanmoins, cette interdiction peut faire l’objet de contournements, notamment pour les composants dits « multi-usages » et pour les produits ayant fait l’objet d’un test sur les animaux dans un pays tiers qui sont ensuite validés par des tests respectant la réglementation européenne.
[3] Loi sur les aliments et drogues, L.R., ch. F-27.
[4] Voir en ce sens l’Avis de motion de voies et moyens en vue du dépôt d’une loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 à la page 322.
[5] Voir en ce sens l’Avis de motion de voies et moyens en vue du dépôt d’une loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 aux pages 322 et 323.
[6] En effet, le règlement européen relatif aux produits cosmétiques autorise lui aussi la vente sur le marché européen de produits cosmétiques et d’ingrédients contenus dans de tels produits testés sur des animaux avant l’entrée en vigueur dudit règlement (soit en 2013) tandis que le règlement européen REACH autorise les tests conduits sur des animaux pour les substances présentes dans des ingrédients destinés à différents usages.
[7] Voir en ce sens l’Avis de motion de voies et moyens en vue du dépôt d’une loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 à la page 323.
[8] Il s’agit ici du futur article 16.3 de la Loi sur les aliments et drogues, dans sa version modifiée à l’issue de l’adoption de l’Avis de motion de voies et moyens en vue du dépôt d’une loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
[9] Le Canada étant une monarchie constitutionnelle, c’est au souverain qu’il revient d’approuver les projets de loi adoptés dans une forme identique par les deux chambres du Parlement fédéral, à savoir le Sénat et la Chambre des communes, par l’intermédiaire d’une sanction royale.