Auteur : Jérôme Leborne, maître de conférence en droit privé et sciences criminelles (Université de Toulon)
Sous l’empire de l’ancien Code pénal de 1810, la protection de la vie d’un animal n’existait pas. À l’ère de la société rurale, la loi pénale avait pour principal objectif de sanctionner les atteintes au patrimoine. Un chien battu[1] ou un chat écrasé[2] par exemple caractérisait une atteinte à la propriété mobilière du propriétaire de l’animal. Placés dans la Section III « Destructions, dégradations, dommages » du Chapitre II dédié aux « Crimes et délits contre les propriétés », les anciens articles 452, 453 et 454 réprimaient d’autant plus sévèrement les atteintes aux animaux de ferme car, outre leur valeur économique, ils constituaient à l’époque un outil de travail indispensable[3]. Ainsi, l’ancien article 452 sanctionnait quiconque qui aurait empoisonné des chevaux ou autres bêtes de voiture, de monture ou de charge, des bestiaux à corne, des moutons, des chèvres ou des porcs, des poissons dans des étangs, viviers ou réservoirs, d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de seize francs à trois cents francs. L’article 453 aggravait le fait de tuer, sans nécessité, un animal de travail ou de revenus mentionné à l’article 452, sous certaines conditions : si le délit avait été commis dans les bâtiments, enclos et dépendances, ou sur les terres dont le maître de l’animal tué était propriétaire, locataire, colon ou fermier, la peine se devait d’être fixée entre deux à six mois d’emprisonnement ; si le délit avait été commis dans les lieux dont le coupable était propriétaire, locataire, colon ou fermier, l’emprisonnement pouvait s’étendre de six jours à un mois ; et si le délit s’était produit dans tout autre lieu, l’emprisonnement était fixé entre quinze jours à six semaines. Enfin, l’article 454 punissait quiconque qui aurait, sans nécessité, tué un animal domestique dans un lieu dont celui à qui cet animal appartenait était propriétaire, locataire, colon ou fermier, d’un emprisonnement de six jours au moins et de six mois au plus. En cas de violation de clôture, il fallait prononcer le maximum de la peine encourue, manifestation supplémentaire d’une protection centrée sur la propriété privée. Partant, le fait de tuer ou de blesser un animal à l’extérieur d’une propriété n’était pas incriminé. Pour éviter que l’auteur ne reste impuni, il fallait jouer stratégiquement en se plaçant sur le terrain réificateur des infractions contre les atteintes aux biens. Deux qualifications étaient possibles suivant le résultat de l’acte. Les violences provoquant la mort de l’animal pouvaient constituer l’infraction de destruction ou détérioration volontaire d’un objet mobilier ou d’un bien immobilier appartenant à autrui et être punies d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et/ou d’une amende de 2 500 francs à 50 000 francs[4]. Les violences simples commises contre l’animal pouvaient caractériser un dommage causé à un objet mobilier ou immobilier appartenant à autrui et être sanctionnées d’une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe et éventuellement d’un emprisonnement de cinq jours au plus[5].
Le nouveau Code pénal de 1994 reconnaît pour la première fois en France les atteintes à la vie d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, indépendamment de son utilité ou du lieu où sont commises les atteintes, en son article R. 655-1 qui punit « le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité » d’une contravention de la cinquième classe, soit 1500 euros d’amende aujourd’hui. Il va plus loin encore en distinguant, sur le modèle des atteintes humaines, les atteintes volontaires et les atteintes involontaires à la vie de l’animal.
Malgré ces progrès remarquables, on s’est ému que la mort d’un animal ne soit seulement sanctionnée que de quelques euros. Les nouvelles sensibilités conduisent à de nouvelles protections. La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale[6] franchit un nouveau cap. Elle admet la nécessité de revaloriser la vie animale qu’elle introduit désormais dans le champ correctionnel. Le Titre II du Livre V du Code pénal comprend dorénavant deux chapitres[7]. Le second, consacré aux « atteintes volontaires à la vie d’un animal », se compose de l’article 522-1 nouvellement créé qui les sanctionne d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Attention, le délit ne peut sanctionner que les faits qui sont commis après la publication de la loi du 30 novembre 2021 conformément au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère[8]. Est-ce pour cette raison que la contravention de l’article R. 655-1, réprimant les actes effectués avant la loi, est toujours en vigueur ? Il semble que le pouvoir exécutif ait omis de prendre en compte les conséquences de la loi dans le domaine réglementaire. Toujours est-il qu’en fonction de la date de réalisation, un fait identique constitue tantôt une contravention, tantôt un délit. Toutefois, si la contravention n’est pas abrogée, sa mise à mort se fera « naturellement » par l’écoulement du temps, c’est-à-dire la prescription des faits.
Le délit se constitue des mêmes éléments constitutifs et se heurte aux mêmes dérogations de la contravention qui sont, d’une part, la nécessité de l’acte, d’autre part, la tradition des courses de taureaux et des combats de coqs. Le législateur a fait du neuf avec de l’ancien. La seule et minime différence consiste en l’ajout de la formule « hors du cadre d’activité légale ». Or, la mort de l’animal, dans le cadre d’une pratique, ne constituait pas toujours l’infraction dès lors qu’elle s’avérait nécessaire[9], et dans le cadre d’une activité légale, se justifiait toujours par le principe de l’autorisation de la loi[10]. Cette précision était donc inutile. La contravention était déjà par ailleurs une « contravention-délit » dans la mesure où elle exigeait l’intention de l’auteur pour être caractérisée. La jurisprudence développée au temps de la contravention continue alors à s’appliquer dans les mêmes conditions sous la bannière du délit. La mort de l’animal doit être donnée (1) volontairement (2).
Pour une partie de la doctrine, l’article 522-1 du Code pénal réprime indirectement « l’animalicide »[11]. Le législateur opère en effet un parallélisme formel avec l’homicide. Dans les deux cas, il s’abstient de donner toute indication relative à la façon de tuer. Il s’en déduit que, pour « le meurtre d’un animal »[12], la mort peut aussi être donnée par tout moyen. Dans les deux cas, l’infraction est de résultat. Il ne peut y avoir d’atteinte à la vie que si, et seulement si, la mort est effectivement donnée. Ainsi, l’infraction est caractérisée par le fait d’introduire des morceaux de fils métalliques dans les aliments de bovins provoquant leur mort[13] ; de tuer un chien, ou un chat, par arme à feu[14] ; de frapper violemment avec une fourche et de la planter dans le corps d’un chat[15] ; de porter un coup de couteau dont la lame mesure plus de 10 centimètres de longueur à un chien[16] ; d’accélérer et percuter un chien, au milieu d’un carrefour à bord d’un véhicule[17], ou encore, de projeter violemment six chiots, un à un, contre un mur, dans le but d’obtenir des informations provenant de la propriétaire[18].
La question s’est posée de savoir si le fait de donner la mort à un animal pouvait être commis par omission. Ces faits sont très fréquents. Mais littéralement la réponse est a priori négative puisque la formule suppose une commission par action[19]. Et, si on suit fidèlement les conditions de l’homicide, ce qui est le cas sur toutes les autres dimensions de l’infraction, depuis l’affaire de la jeune fille séquestrée de Poitiers[20], il ne peut y avoir de meurtre commis par omission, en l’occurrence par manque de soins. La jurisprudence animalière elle aussi n’a pour l’instant jamais retenu l’infraction contre une personne au comportement passif à l’origine de la mort d’un animal. L’omission de nourrir, d’abreuver ou de soigner est qualifiée, selon les circonstances, de mauvais traitements[21], d’abandon[22] ou d’atteinte involontaire à la vie d’un animal[23]. Le texte apparaît pourtant suffisamment large pour inclure une abstention. D’ailleurs, la jurisprudence accepte la commission par omission des sévices graves ou d’actes de cruauté alors que le texte n’est pas plus clair[24]. Ici cependant, l’admission de la mort de l’animal par omission pourrait générer un conflit de qualification avec les infractions susvisées. En vérité, il s’agit avant tout d’un problème de preuve[25]. Il faut d’abord démontrer le lien de causalité entre l’omission et la mort de l’animal, rechercher ensuite l’intention de tuer l’animal en s’abstenant d’intervenir. L’élément moral est une fois de plus décisif[26].
Au temps de l’animal-bien, l’ancien Code pénal ne donnait aucune indication relative à l’élément moral de l’infraction. La Cour de cassation a précisé par la suite que la destruction devait être « volontaire »[27]. En dépit de la nature contraventionnelle de l’infraction qui suppose une intention présumée, le pouvoir exécutif de 1994 s’est aligné sur la solution des hauts magistrats en exigeant que la mort soit donnée « volontairement » pour réprimer la mort de l’animal-vivant[28], afin probablement de tracer la frontière avec les atteintes involontaires à la vie de l’animal qu’il a reconnues au même moment. Dans le domaine correctionnel, tout délit est en principe intentionnel[29]. Au dol général, c’est-à-dire la volonté de l’acte et la conscience de son caractère interdit, s’ajoute un dol spécial que la doctrine a qualifié « d’animus necandi à l’égard de l’animal »[30], à savoir la volonté de tuer l’animal.
Certains prévenus ont profité de cette condition, prétendant être dépourvus du souhait de tuer, dans le but de faire échouer les poursuites. Certains ont réussi. Ainsi ont été relaxés les auteurs de morceaux de viande empoisonnés qu’ils avaient déposés sur un terrain à l’attention d’animaux sauvages ayant conduit à la mort des chiens et chats de leur voisin, faute de n’avoir ni prévu ni voulu la mort de ces animaux domestiques en divagation[31]. D’autres non. L’infraction demeure caractérisée contre le prévenu qui, agacé par le chat de sa voisine, avait installé des fils de nylon autour de sa clôture pour entraver le passage du chat, ce qui avait eu pour effet de retenir l’animal, de l’enserrer dans un nœud et l’étrangler. La nature mortelle du piège démontrait de toute évidence la véritable intention de l’auteur[32]. Le juge déduit du comportement de l’auteur, notamment du niveau d’élaboration de l’acte mortel, son intention de tuer. L’infraction se distingue de cette manière d’autres qualifications susceptibles de s’appliquer. « Si le geste est sûr et la volonté déterminée, l’animalicide se justifie »[33]. Si l’animal est mort dans des conditions cruelles ou dans le but de le faire souffrir, il faudra préférer la qualification de sévices graves ou d’actes de cruauté où la mort de l’animal est prise en compte en tant que circonstance aggravante depuis 2021[34]. Si la mort de l’animal est due à une omission de nourriture, d’abreuvement ou de soins, et ce, pendant une période prolongée causant une lente agonie, l’infraction d’abandon devrait l’emporter. En revanche, si l’animal meurt à la suite de violences ou omissions « simples », sans que l’agent recherche sa mort, la contravention de mauvais traitements correspond davantage à la situation. Enfin, la faute d’imprudence ou de négligence pourra être qualifiée d’atteintes involontaires à la vie, sous réserve de démontrer que la faute est réellement non intentionnelle[35].
Force est de constater que l’atteinte volontaire à la vie de l’animal est au carrefour des infractions animales. Hélas, la vie de l’animal reste encore largement négligée. Il est regrettable que des faits, si graves, puissent se perdre dans le labyrinthe des incriminations. L’intérêt de consacrer législativement « l’animalicide » n’est donc pas qu’une question de symbole, cette qualification implique d’aggraver les peines et de repenser fondamentalement la protection pénale de l’animal du XXIe siècle[36].
[1] Cass. crim., 18 mars 1975, Gaz. Pal., 1975, II, Sommaire, p. 205.
[2] Cass. crim., 18 juin 1958, Bull. crim., 1958, n° 471.
[3] De même, le vol des chevaux, ou bêtes de charge, de voiture ou de monture, gros et menus bestiaux est puni de la réclusion (anc. art. 388, Code pénal).
[4] Ancien art. 434, Code pénal.
[5] Ancien art. R. 38 6°, Code pénal.
[6] Loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 vivant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.
[7] Le premier chapitre est consacré aux dispositions contre « Des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux ».
[8] Art. 112-1, Code pénal.
[9] À titre d’exemple, doit être relaxé l’éleveur qui a procédé à l’écornage de bœufs au moyen d’une clé à griffes car cette pratique, n’ayant entraîné aucune douleur ni blessure apparente, avait pour but d’empêcher les jeunes animaux de se blesser mutuellement (CA Poitiers, 18 décembre 1964, Gaz. Pal., 1965, I, p. 234). Il ne faut pas confondre la nécessité de l’acte avec l’état de nécessité. L’absence de nécessité, prévue par le texte d’incrimination, est un élément constitutif de l’infraction et doit être démontrée par le procureur de la République pour engager des poursuites, tandis que l’état de nécessité est un fait justificatif de droit commun prévu par l’article 122-7 du Code pénal, exigeant des conditions strictes qui doivent être rapportées par l’auteur de l’infraction pour en bénéficier.
[10] L’autorisation de la loi, comme l’état de nécessité, est un fait justificatif de droit commun. L’article 122-4, al. 1, du Code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ». Le droit pénal ne peut alors punir un fait autorisé par la loi. En d’autres termes, l’autorisation de la loi neutralise l’infraction pénale.
[11] J-P. Marguénaud, « L’animal dans le nouveau code pénal », D., 1995, n° 25, p. 187 ; V. Bouchard, « Les infractions animales », in Mélanges dédiés à Roger Bernardini, L’Harmattan, coll. Droit privé et sciences criminelles, 2017, pp. 35-60, spéc. p 56.
[12] J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, coll. Référence, 8e éd., 2020, p. 757, n° 1156.
[13] Cass. crim., 14 mai 1990, Gaz. Pal., 1990, II, p. 632.
[14] Cass. crim., 2 mai 2001, n° 00-85.029 ; CA Rennes, 9 avril 2003, JurisData n° 2003-222405 ; CA Aix-en-Provence, 20 février 2006, JurisData n° 2006-311118.
[15] CA Bordeaux, 24 septembre 1998, JurisData n° 1998-048504.
[16] CA Toulouse, 5 septembre 2002, JurisData n° 2002-188351.
[17] CA Paris, 6 octobre 2004, JurisData n° 2004-272014.
[18] CA Aix-en-Provence, 20 mars 2006, JurisData n° 2006-307450.
[19] Dans la majorité des dictionnaires du langage courant, « donner » s’entend comme « porter un coup ».
[20] CA Poitiers, 20 novembre 1901, D., 1902, II, 81.
[21] Art. R. 654, Code pénal.
[22] Art. 521-1, al. 11, Code pénal.
[23] Art. R. 653-1, Code pénal.
[25] J. -Y. Maréchal, « Fascicule 20. Art. R. 655-1 : autres contraventions (5e classe) – Atteintes volontaires à la vie d’un animal », JurisClasseur Code pénal, 2022, n° 14.
[26] Ibid.
[27] Cass. crim., 28 novembre 1962, Bull. crim., n° 347 ; Cass. crim., 14 mai 1990, Gaz. Pal., II, p. 632.
[28] La volonté de tuer a eu pour effet d’étendre les causes d’irresponsabilité pénale à la contravention. Par exemple, les juges ont relaxé sur le fondement de l’erreur de fait, le prévenu qui a tué un porc qu’il croyait de bonne foi être un sanglier en raison de la couleur foncée de la bête (CA Grenoble, 2 août 1995, JurisData n° 1995-047608).
[29] Art. 121-3, al. 1, Code pénal.
[30] J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 8e éd., p. 757, n° 1157.
[31] CA Papeete, 5 octobre 2000, JurisData n° 2000-136014.
[32] CA Montpellier, 4 octobre 2006, JurisData n° 2006-317330.
[33] V. Bouchard, « Les infractions animales », in Mélanges dédiés à Roger Bernardini, L’Harmattan, coll. Droit privé et sciences criminelles, 2017, pp. 35-60, spéc. p. 56.
[34] Cf notre article sur « La qualification des sévices graves ou actes de cruauté envers un animal » sur ce site.
[35] Ce qui n’est pas le cas du prévenu qui s’empare de sa carabine et prétend que le coup de feu est parti par maladresse alors que selon les témoignages il a épaulé son fusil, mis en joue et tiré sur l’un des chiens se trouvant déjà à l’arrière du véhicule de son propriétaire (CA Paris, 24 mars 1997, JurisData n° 1997-020655).
[36] J. Leborne, La protection pénale de l’animal, Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2024. Sur la consécration de l’animalicide : L. Richefeu, « Féminicide, écocide, animalicide : des notions d’avenir ? », in P. Beauvais, David Chilstein et E. Dreyer (dir.), Le droit pénal de l’avenir, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2024, pp. 334-342.