Auteure : Lola Boucard, juriste
Les Etats-Unis possèdent un outil juridique couramment appelé « Pelly Amendment », issu d’un amendement au Fishermen’s Protective Act de 1967 (que l’on pourrait traduire par « Loi de Protection des pêcheurs »). Cet amendement permet au Ministre de l’Intérieur (Secretary of the Interior) de présenter une attestation officielle (« certification ») au Président des Etats-Unis s’il constate que des ressortissants d’un pays étranger se livrent, directement ou indirectement, à des échanges commerciaux ou à des prélèvements qui diminuent l’efficacité de tout programme international de conservation des espèces menacées ou en voie de disparition. Le Ministre doit faire connaître au Congrès des Etats-Unis, sous 15 jours, toutes les « certifications » qu’il aurait présentées au Président. Le Président des Etats-Unis doit ensuite décider sous 60 jours d’imposer ou non un embargo sur les produits concernés afin d’inciter le pays en infraction à respecter les conventions internationales de protection des animaux. Si le Président refuse d’imposer des sanctions ou un embargo, il doit s’en expliquer devant le Congrès[1].
Dans le cadre de la défense des animaux, cet amendement est souvent utilisé par des associations qui s’appuient sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction du 3 mars 1973. Cette Convention, connue par son sigle CITES ou encore comme la Convention de Washington, est un accord international entre 184 États signataires, dont par exemple la France, les Etats-Unis, et la Chine[2]. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent.
Voici quelques exemples d’utilisation de cet amendement.
En 1993, le Président Clinton avait utilisé ce procédé pour interdire les importations de faune sauvage de Taïwan qui faisait alors le commerce de rhinocéros en violation de la CITES. Taïwan avait rapidement fait fermer son marché domestique de rhinocéros. Récemment, cet amendement a été utilisé pour la défense du pangolin. La CITES interdit notamment le commerce international du pangolin, victime de l’un des trafics les plus importants du monde animal. Du fait d’exceptions légales et également de la faible mise en œuvre effective de cette disposition, le commerce de pangolin reste très répandu notamment dans le cadre de la médecine traditionnelle chinoise. Cette espèce est menacée d’extinction alors que le Gouvernement chinois continue de promouvoir la consommation de ses écailles, en dépit de certaines mesures prises depuis la pandémie de COVID-19. C’est pourquoi, en 2020, plusieurs organisations états-uniennes de protection animale[3] ont déposé une requête[4] auprès du Ministère de l’Intérieur. Le 8 septembre 2023, ce dernier a annoncé avoir présenté une « certification » au Président Biden[5], annonçant que l’échec de la Chine dans la protection du pangolin diminuait l’effectivité de la CITES. Le Président avait jusqu’à la fin du mois d’octobre pour décider d’imposer ou non des sanctions envers la Chine.
Le 3 novembre dernier, il a annoncé au Congrès[6] que le Gouvernement chinois « a fait quelques progrès par rapport à ses engagements internationaux [depuis la « certification » par le Ministère] », mais que « étant donné la complexité du marché intérieur du pangolin en Chine et le chevauchement de ses juridictions, il faudra plus de temps afin de garantir que les agences chinoises compétentes mettent en œuvre les mesures nécessaires pour protéger les espèces de pangolins d’une éventuelles extinction. ». Joe Biden a donc demandé aux Ministères américains qui travaillent sur le sujet de le tenir informé du résultat des négociations en cours, lors de la réunion du Comité permanent de la CITES qui se tiendra à Genève du 6 au 10 novembre 2023 : si aucun engagement significatif n’était pris par la Chine pour protéger les espèces de pangolin d’ici le 31 décembre 2023, le Président des Etats-Unis prévoit d’imposer certaines interdictions à l’importation et d’édicter des mesures commerciales sur certains produits en provenance de Chine.
Enfin, un autre « Pelly Amendment » a été déposé le 17 octobre dernier par des associations[7], concernant le Mexique et son commerce de caouanne, une espèce de tortue marine.
[1] Plus d’explication concernant le Pelly Amendment : https://s3.amazonaws.com/eia-production/posts/documents/000/000/522/original/EIA_Pelly_Amendment_041116.pdf?1475085032
[2] Site de la convention : https://cites.org/fra
[3] Communiqué des associations : https://law.lclark.edu/live/files/35166-pelly-petition-press-release
[4] Texte de la requête (« petition ») : https://law.lclark.edu/live/files/30276-pangolinpellychinapetitionfinal8620pdf
[5] Annonce du Department of the Interior : https://www.doi.gov/pressreleases/statement-department-interior-pelly-certification
[6] Communiqué de Presse de la Maison Blanche : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/presidential-actions/2023/11/03/message-to-the-congress-notification-to-the-congress-consistent-with-section-8-of-the-fishermens-protective-act-of-1967-as-amended-22-u-s-c-197/
[7] Texte de la « petition » : https://www.biologicaldiversity.org/species/reptiles/loggerhead_sea_turtle/pdfs/Center-Letter-re-Penalties-for-Mexican-Bycatch-10-17-23.pdf